TOUT CECI N’EST QU’UN « JE » !
Une fêlure. Montrée humblement. Avec sincérité, sans provocation.
La blessure. Qui suis-je ? Où se trouve mon regard. ? Dans le pinceau ? dans le portrait ? dans la caméra ?
Une question est posée simple, ouverte, sans agressivité, sans complaisance aucune.
Dites moi ce que vous voyez. Moi je suis là. Voici ce que je vois.
Voici ce que je suis, voici ce que je montre.
Cet objectif qui m’observe, qui s’observe.
Depuis quelques jours, le carton de l’invitation au dessus de mon bureau. Je le regarde comme je regarde un miroir. Toujours un peu effrayée de ce que je vais y trouver. Différemment selon mes humeurs. Je cherche un bouton ? Une ride ? Une expression ? De quoi ai-je l’air aujourd’hui ? Est-ce moi ? Est-ce le peintre ? Le photographe ? Le modèle ? Qui me regarde ? Qui je regarde ?
Cet objectif comme une porte sur l’intérieur. L’intérieur de quoi ? De qui ?
Cet œil bienveillant et rieur. Grave mais jamais sérieux. Un peu gênante, l’impression qu’il me voit au travers de moi. Comment m’expliquer cette sensation presque cruelle de simplicité.
Un tableau d’humain sans fioriture. Mais pourquoi me regarde-t-il ?
Que cherche-t-il ? Me force à chercher ce qu’il y a à voir en moi. Un tableau qui me force à me regarder moi-même. Autoportrait, dites-vous ?
Qui s’offre jamais à voir avec une telle générosité ?
Juliet Gavison
-------------------------------------------------------------------------------------
B. Philippe, le je et le jeu
Lorsqu'il réalise l'autoportrait à l'encre brune qui se trouve aujourd'hui au British Museum, Rembrandt a 21 ans. Lorsque Courbet dessine l'autoportrait dit "au chevalet" du Louvre, il a 28 ans. Par l'âge, B. Philippe se situe entre ses deux glorieux devanciers commençant à étudier passionnément leurs visages respectifs (ils continueront). Or il ne voit pas du tout la même chose qu'eux. Le hollandais était fasciné par son propre regard, inquiet, scrutateur, tragiquement lucide. Le français se composait, non sans une certaine complaisance, un personnage vu en contre-plongée, avec la physionomie décidée d'un jeune artiste sûr de lui et de son avenir. Rien de tout cela chez B. Philippe qui a saisi son apparence à cinquante reprises par le moyen de la photographie avant de traduire à chaque fois cette dernière, à sa manière, sur une toile de 50 x 50 cm. Précisément, il s'est toujours représenté l'appareil à la main : en pleine action, ou jouant avec lui ou encore masqué par lui (totalement ou partiellement). Le titre de la série est explicite : Tout ceci n'est qu'un "je". Un je, bien sûr, mais aussi et sans doute surtout un jeu. B. Philippe est trop jeune et trop peintre pour ne parler que de lui, alors, il joue avec les infinies possibilités de la peinture qui elle-même joue avec la photographie. C'est libre, frais, inventif, décontracté. B. Philippe est évidemment de son temps, mais avec une capacité d'invention plastique et un talent devenus rares ces temps-ci. A savourer sans modération.
Jean-Luc Chalumeau
novembre 2010
-------------------------------------------------------------------------------------
B.Philippe
Déjà petit, il était grand. Aussi n’a-t-on cessé de le lui répéter. « Mon Dieu, si grand, tellement grand… » Du coup il l’est devenu, grand. Vraiment.
Et je ne parle pas tant de la taille de ce jeune homme –grand, c'est certain- que de son talent. Une manière de maturité picturale, un savoir, une sûreté. Il trace juste. Il maîtrise une palette classique ET moderne. Il épate.
Silencieux, tranquille, il peint. Il est absolument peintre. Il a la grâce. Le duende disait Lorca pour traduire ce qu’on ne peut expliquer mais qu’on ressent.
Oh ! Si. Bien sûr, on peut trouver des mots techniques et vaguement pédants pour décrire ses travaux, mais la grâce est ce qui traduit le mieux l’impression profonde que produisent ses cinq premières séries. La dernière surtout, qui semble répondre, sinon faire pendant, à « Un Air De Famille » laquelle représentait des singes en des attitudes, mettons fraternelles. Des singes si proches et si lointains.
Là il a osé s’en prendre à l’auto-portrait sans la dérision facile ni le faux recul goguenard à la mode. Juste, il a réinventé l’humour en peinture, un humour tendre envers soi. Ça n’est pas si aisé de « peindre celui qui peint », de voir celui qui (se) voit », à la fois tendu et fragile, attentif et si précis : l’être humain au raz de soi.
Il y a dans ses toiles une simplicité de lecture qui donne à voir tant de choses… Tant d’autres choses… Un regard tellement honnête -intransigeant- que ça en devient dérangeant. Presque inconfortable de franchise.
Cette petite cinquantaine d’autoportraits ne s’appelle pas par hasard « ceci n’est qu’un je ». Elle a la puissance du jeu de l’enfant quand il se décrète roi des étés et devient réellement le roi des étés.
Il n’a pas fini d’entendre dire qu’il est grand. B.Philippe.
Qu’il ne s’arrête plus de grandir, voilà tout le mal que je lui souhaite.
À Paris, le 18/10/10
Sophie Chauveau